30/04/2007

Le chalet « objet-lieu » en réponse à un imaginaire du paysage architectural alpestre à la dérive

Nombreuses images constituantes de notre imaginaire évoquent pour chacun d’entre nous le terme « chalet ».

Mais qu’en est-il vraiment ? Où se situe la limite entre notre imaginaire et la réalité du chalet qui occupe nos montagnes ? Quelles sont ses composantes ? Son avenir ?

La première représentation iconographique du chalet est celle du chalet de la Côte, représentée par Eugène Viollet Le Duc à Chamonix en Haute-savoie en 1872.

Cette construction reprend les principes du chalet dit « traditionnel » qui fait parti de l’image que l’on se fait couramment du chalet de montagne : soubassement en pierre, superstructure en bois faite de madriers de mélèzes, et couronnement par une toiture à 2 pans couvertes de tavaillons ou de lauzes. Ce chalet est celui du skieur et n’a rien à voir avec le chalet d’alpage ou se côtoyaient hommes et bêtes.

Nous distinguons deux formes de chalets répondant chacun à un programme différent :

  • La construction rurale vernaculaire et traditionnelle correspondant au programme d’une exploitation rurale et agricole
  • Le chalet du skieur lié à la découverte des sports d’hiver, et nécessitant un programme répondant aux besoins du touriste en quête de dépaysement.

Henri Jaques LE MEME déclare en 1946 en réponse à la nouvelle demande d’habitat en montagne :

« Il ne peut donc être question de copier l’habitation montagnarde mais il faut seulement s’en inspirer pour créer un chalet résolument contemporain où les lignes extérieures s’allient à celles de l’architecture traditionnelle locale, mais où la distribution et le confort répondent bien au programme précis et spécial esquissé par notre skieuse ».

La notion d’adaptation et d’actualisation de la forme du chalet aux besoins est un souci majeur de l’époque, l’Ecole de Courchevel souligne, la même année en 1946, le sens de leurs recherches : « le chalet savoyard a été engendré par des conditions de vies et des moyens de constructions séculaires ; des conditions de vies et des moyens de constructions nouveaux engendreront un nouvel habitat ? ». La question est posée, les réponses suivront sous la forme de 4 principes constructifs :

  • Construire des volumes compacts et isolés
  • Gérer la neige en toiture et au sol
  • Profiter du soleil et du panorama
  • Employer des techniques contemporaines

Plusieurs chalets respectant ces principes verront le jour.

Le chalet Lang - Denys Pradelle, architecte, 1950


Le chalet Joliot-Curie - Denys Pradelle, architecte, 1949

Mais ces modèles répondant, certes, à des principes innovants et adaptés à la problématique des contraintes montagnardes, adaptés à un nouvel usage, seront mis à l’écart au profit d’un idéal de la station nouvelle reprenant les formes de l’architecture traditionnelle par mimétisme.

En réaction au « bétonnage » des montagnes lié au fonctionnalisme et rationalisme des « trente glorieuses » traduisant une exacte adaptation de la forme à l’usage, le retour aux sources du traditionalisme et du régionalisme est perçu comme une solution à l’adaptation et l’intégration des constructions dans le paysage.

L’imaginaire de la montagne entre en scène, et quelle belle mise en scène !

D’abord on s’inspire, puis on copie, on imite, on colle, on mélange, on juxtapose, on superpose… des formes, des couleurs, des matériaux, des volumes, tous venant d’ici (du lieu) au départ puis d’ailleurs …

On importe, et peu importe sous réserve que l’ambiance « fasse » Montagne.

Le touriste cherche le dépaysement, l’ambiance « village montagnard », sans se soucier du lieu où il se trouve : à la montagne et peu importe où. L’architecture n’est plus qu’un simple décor, elle joue le jeu de « faire » montagne en oubliant l’authenticité du lieu.

Nous sommes bien loin de nos ancêtres venus contempler les sommets, aujourd’hui le touriste contemple le faux, le pastiche et il en redemande…

Tout tend à la simulation, le stéréotype… L’architecture produit des images synthétiques, artificielles sans âme. La relation au lieu semble avoir été abandonnée au profit d’un espace de représentation d’un imaginaire totalement irréel.

Cet imaginaire n’est alors qu’accumulation proliférante de références à la montagne, de généralités conduisant à une uniformisation du paysage architectural alpin.

Stéphane Cicutto, architecte à Chamonix, dénonce « la « pseudo-régionalisation » à l’œuvre en montagne, sous prétexte de satisfaire le besoin d’authenticité des clients » et il n’a pas tort. Le néo-régionalisme se moque bien du lieu (voir la bibliographie se rapportant à Jean-Paul Brusson).

L’ambiance est belle et bien différente du lieu. Une ambiance « montagne » peut être créée n’importe où et tant mieux. Mais n’importe quel village de montagne devrait faire référence au site qu’il occupe. La relation lieu/architecture devrait être indissociable. Comme le définit Jean-Paul Brusson par son concept de montagnité :

« La montagnité est le caractère spécifique d’un lieu montagnard où s’expriment des pratiques sociales pertinentes par rapport à ce lieu, reconnaissantes de l’histoire, prévenantes et écologiquement responsables. Les intentions qui président à l’établissement des relations privilégiées entre l’homme et la montagne sont fédérées par la montagnité, à la fois état et projet qualitatif. »

Ce style de mise en scène, rapportant divers objets rappelant la montagne, traduit un désir identitaire du lieu. Mais n’est-il pas inadapté de s’inspirer de « l’ailleurs » pour parler du « ici » ? Cela semble totalement paradoxal, mais le constat fait aujourd’hui est la très grande influence des modèles et des références extérieures au lieu qui s’imposent.

Le chalet présente une expression décorative ostentatoire au dépends d’une réponse fonctionnelle à un programme précis. Brusson parle d’un chalet au statut d’ « objet-lieu ». Un chalet qui s’inspire du lieu, évoque ses formes, ses volumes, ses couleurs et ses matériaux.

Le chalet n’a plus besoin de créer son décor, il se fond dans le décor existant car s’en inspire. L’harmonie au lieu se fait par la conjugaison de l’architecture à son paysage. L’architecture alpine traduit une appartenance à un lieu géographique précis dont il convient de reprendre les principes d’intégration par mimétisme du lieu pas des constructions des pays ou régions voisins.

Chaque lieu présente des spécificités et des différences, ces caractéristiques locales et localisantes, en rapport au lieu, permettent à la fois d’enrichir et d’identifier le lieu et/à l’architecture et inversement.

L’analyse de J-P Brusson qualifie le chalet d’« objet-lieu » dialoguant de deux manières avec le site qui l’accueille (et non l’inverse) :

  • De l’extérieur vers l’intérieur : rapport de l’objet au territoire en terme d’acclimation, de beauté dans le paysage.
  • De l’intérieur vers l’extérieur : la relation est confié à l’ouverture des vues et de visuels sur le panorama et le paysage.

Préservant cet échange et cette transparence du dialogue avec la nature, le chalet est parfaitement intégré à son site car il tient compte des données paysagères autant que des données fonctionnelles.

Le chalet devient une composante de l’équilibre environnemental. Il résulte :

  • des besoins de la nature (intégration, prise en compte et respect du site, rappel des matériaux formes et couleurs…)
  • des besoins de l’homme (vues, lumière, abrid, confort…)

N’est-ce pas vers cela que toute architecture devrait tendre ?

Une parfaite harmonie de vie entre l’homme et son environnement, on devine les prémisses d’un développement durable…





Sources :
Brusson (Jean-Paul), Le chalet, nouveau rapport au lieu, nouveau statut, Revue de géographie alpine, 2002, N°4.
Brusson (Jean-Paul),A propos de l’architecture touristique : le néo-régionalisme se moque-t-il du lieu ?, Revue de géographie alpine, 1996, N°3.
Chappis (Laurent), Legrand (Jean-Marc),Pradelle (Denys), Contribution à une architecture de montagne, Etudes et informations,Cahier mensuel du MRL, N°3 Mars 1955.
Chevallier (Marc), Paroles de modernités. Pour une relecture culturelle de la station de sport d’hiver moderne, Revue de Géographie alpine, 1996, N°3.
Cicutto (Stéphane), « l’uniformisation du territoire n’a rien à voir avec la tradition », http://www.cyberarchi.com/, article publié le 22/04/2004
Cicutto (Stéphane), « Les (archis) bronzés aux sports d’hiver », http://www.cyberarchi.com/, article publié le 22/04/2004
Clivaz (Michel), L’architecture alpine contemporaine, L’industrie du ski et l’invention de la « station de sports d’hiver » en Savoie et Haute-Savoie durant les « trente glorieuses ».
De Rossi (Antonio), »Existe-t-il une architecture alpine ? », Une traversée des Alpes occidentales italiennes pour repenser la notion de projet architectural dans le territoire alpin contemporain, Revue de Géographie alpine, 1996, N°3.
Hardy (Jean-Pierre), L’aventure architecturales des stations de sports d’hiver, Megève station-village, http://www.sabaudia.org/.
Lyon-Caen (Jean-François), Montagnes Territoires d'inventions, Ecole d'Architecture de Grenoble, Novembre 2003.
http://www.culture.gouv.fr/rhone-alpes/courchevel/

08/04/2007

Montagnes, Territoires d'inventions






Lyon-Caen, Jean-François
ÉCOLE D'ARCHITECTURE (Grenoble)
Editions Ecole d'Architecture de Grenoble
(88 p.)
Paru le 30/12/2003


D'espace de subsistance, la montagne est progressivement devenue, au cours du XXe siècle, un espace de loisirs et de résidence. Les nouveaux aménagements, riches d'inventions et de créations, témoignent d’une pensée nouvelle et donnent à voir la remarquable capacité d’adaptation de la société alpine, passée en très peu de temps d’une économie agropastorale à une économie de loisirs. Ils constituent de ce fait un patrimoine culturel tout aussi riche de sens que le bâti rural qui les a précédés.

Les stations de sports d'hiver, établies sur d'anciens territoires d'estive, sans habitat permanent, se présentent comme de véritables laboratoires de recherche, qu'il s'agisse de la réflexion sur de nouveaux modes d'implantations, sur les formes architecturales ou sur l'intérieur même des logements.

L’exposition et l’ouvrage « Montagnes, territoires d’inventions » présentent l’arrière plan des principales mutations qu’ont connues les territoires de montagne depuis le XVIIIe siècle en vue d’engager une réflexion propre à renouveler la conception des projets contemporains et à même de répondre avec lucidité aux interrogations qu’ils soulèvent.


L’exposition est organisée en 4 actes :

Acte 1 : L’invention de la montagne (XVIIIe –XIXe)
La découverte des monts affreux, engagée dès la première moitié du XVIIIe siècle, donne lieu à des représentations picturales ou littéraires. Cette invention de la montagne entraîne une révolution du regard et des sentiments portés par les gens des plaines sur ce nouveau monde. La montagne est alors le territoire de communautés qui parcourent, exploitent et modifient les paysages en vivant au rythme d’une économie agropastorale. Leurs constructions forment un véritable art d’habiter, présenté dans ses diversités techniques, géographiques et d’usage.

Acte 2 : L’invention de la modernité alpine (1850 – 1940)
La révolution industrielle, à compter de la seconde moitié du XIXe siècle, donne naissance à de grands chantiers. Elle exploite des ressources naturelles de la montagne au profit d’une société urbaine en pleine expansion qui proclame les bienfaits de la montagne. Le mouvement se prolonge dans l’entre deux guerres. Ces pratiques nouvelles inscrivent la modernité au cœur des territoires alpins.

Acte 3 : L’invention de la station en site vierge (1940 – 1980)
L’accès aux loisirs du plus grand nombre suscite la création d’un réseau de stations en site vierge édifiées en altitude à l’écart des villages et des hameaux. Les hommes partent à la conquête de l’or blanc. Suit l’invention de la station intégrée, ensemble touristique pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers de lits conçus simultanément. Les créateurs répondent aux programmes contraignants en inventant une architecture de loisirs innovante.


Acte 4 : L’invention du village revisité (1980 – 2000)
Avec la crise économique, le développement revient au contact des espaces habités et invente des outils réglementaires qui codifient le projet architectural et urbain. Le village ancien, devenu station touristique, est un village revisité dans lequel s’impose le principe de construire en continuité et celui d'une architecture d'imitation. L’intégration revendiquée de l’architecture dans le paysage se traduit par une mosaïque d’approches architecturales.

Exposition réalisée par l’École d’architecture de Grenoble dans le cadre du programme d’expositions partagées de l’inter-école d’architecture de Rhône-Alpes, avec le concours du Ministère de la Culture et de la Communication et de la Région Rhône-Alpes, dans le cadre du contrat de plan État-Région.
Sous la responsabilité scientifique de Jean-François Lyon-Caen, architecte, directeur de l’équipe de recherche ‘Architecture, Paysage et Montagne’ à l’école d’architecture de Grenoble.