08/05/2007

I. Villes, Altitude et Stations de ski

A. VILLES

1. LA VILLE

La ville, bien que clairement définie dans l’esprit de chaque individu, reste une entité définie

de manière subjective. « C’est un objet changeant selon la façon dont on l’observe »1. Sa définition varie aussi selon les différents facteurs que l’on prend en compte. D’après Le dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement de Pierre Merlin et Françoise Choay, « Trois conditions sont indispensables pour qu’un établissement humain constitue une ville : l’agglomération de constructions, certains traits sociaux de la population (la diversité et les activités de relation) et enfin une certaine dimension »1. Mais cette définition reste incomplète. En effet, pour définir la ville, des facteurs historiques, quantitatifs et sociaux entrent en jeu.

a) Historique

Dans l’histoire, la ville fut définie de plusieurs manières. Tout d’abord, la ville est définie comme un lieu, c’est-à-dire une localité précise, un élément contenu dans un ensemble qui peut-être un paysage, une nation…etc. Elle possède donc des limites, un début et une fin. Tout ce qui se situe hors de ces limites n’est plus considéré comme faisant partie de cette ville. Ces limites peuvent être matérielles ou immatérielles, naturelles ou artificielles. Les limites d’une ville peuvent être une frontière, un cours d’eau, une forêt, un relief, une porte, une muraille…etc. En 1728, Chambers définit la ville comme un « lieu grand, peuplé et entouré par des murailles »2. Dans cette définition, entrent en considération des notions spatiales, dimensionnelles, sociales et enfin matérielles. La ville est vue comme une entité figée, du moins dans le sens où elle possède des limites matérialisées et donc clairement définies. L’ambiguïté n’est pas de rigueur à l’époque : on est en ville ou hors-ville.

La ville a aussi une dimension spatiale, elle est préalablement définie comme un lieu ou un espace auquel on ajoute des caractéristiques particulières.

Historiquement, deux caractéristiques majeures sont relevées. La première est celle étudiée par Camillo Sitte, celle de la forme de la ville. « La ville possède différentes formes, elle est planifiée selon les vides c’est-à-dire les espaces publics (Camillo Sitte) »3. La ville est faite de pleins et de vides, s’organisant entre eux et donnant différentes formes à la ville selon sa fonction. Ainsi, « Un espace habité sans place n’est pas une ville mais une zone urbanisée » 3.

La fonction de la ville est la seconde caractéristique. Elle est souvent définie comme « lieu de résidence où siège l’autorité chargée d’arbitrer entre les pouvoirs et corps sociaux »4. La notion de siège de l’autorité se retrouve dans beaucoup de définitions de la ville : « La ville comme étant le point fort de l’économie, le lieu de production des biens, des échanges et de consommation de forte intensité »5; La ville lieu où se joue « les enjeux de pouvoir, la représentation de l’autorité, de la structure sociale »3…etc.

b) Quantitatif

Il ne suffit pas d’être un lieu défini dans l’espace pour être une ville, des conditions dimensionnelles et quantitatives sont requises. Comme le définissait plus haut Camillo Sitte, la ville est un « lieu grand ». Dans l’idée de représenter le pouvoir, la ville doit posséder une certaine importance pour faire valoir ses droits et exercer son autorité. Son importance se traduit par sa taille, son étendue et aussi son nombre d’habitants.

Sa densité, la présence de certaines fonctions administratives, désignée en tant que telle par l’Etat…etc. peuvent être des caractéristiques requises pour être ville.

Petit à petit, des notions de seuil sont venues compléter la définition de la ville. Elle est alors qualifiée comme un « lieu d’habitat continu ou presque rassemblant au moins 2000 personnes »6.

La notion de seuil de population se précise de plus en plus. La ville se définit par : 2 000 habitants agglomérés dans la tradition française actuelle, 5 000 dans la plupart des comparaisons internationales1.

c) Social

La ville ne serait ville sans les gens qui y habitent. La dimension sociale est sans conteste une composante de la ville.

La ville est définie comme un agglomérat particulièrement important d’évènements qui s’organisent entre eux. « La ville est une agglomération spatiale de personnes et de constructions, d’une taille supérieure à un seuil minimal et dont le mode fonctionnement serait spécifique (« urbain ») »7, elle est « une organisation particulière des interactions entre des individus, des groupes et des activités » 7.

L’image de la ville est perçue « comme un lieu qui possède à la fois des formes physiques spécifiques (densité du bâti, de population, d’entreprises et d’emplois) et une connotation sociale marquée par une présence forte, par le pouvoir religieux, politique, commercial ou culturel, qui en retour fait converger, les hommes, les marchandises, les informations les nouveautés»8. Sous le terme ville, se cache la notion du « vivre-ensemble », c’est-à-dire la « Ville comme un espace vécu »4. « La ville pour celui qui y passe sans y entrer est une chose, et une autre pour celui qui s’y trouve pris »4. La ville prend sens dès que des gens y habitent, y construisent leur quotidien, leur vie. La ville est un espace vivant, elle rassemble les gens et leur vie à chacun. Pour Dominique Perrault : « une ville c’est un endroit où il y a du monde, où des gens vivent et se reconnaissent habitant là ensemble »9. La ville est un « lieu de rencontre avec autrui »4.(Athènes rencontres autour de l’agora, Rome rencontres autour du forum).

La ville organise les vies, les hiérarchise, elle se les approprie comme ses habitants s’approprient les lieux. Cette appropriation est importante dans une ville, car c’est grâce à cela que les gens peuvent s’identifier à la ville et s’y sentir chez eux. Elle possède cette notion d’appropriation de l’espace au travers des fréquentations répétitives des lieux et des habitudes5. La ville est un lieu où les gens vivent, se croisent et se rencontrent. Elle est un lieu d’échange, un lieu où l’on vit « autrement qu’à la campagne »5.

d) Géographique

La ville, comme nous l’avons vu précédemment, est définie comme un espace ou un lieu délimité dans un environnement donné. La dimension géographique de la ville semble être une des caractéristiques principales de la ville. Ainsi, elle rassemble les gens dans un endroit précis. « Dès leur origine, les villes ne se constituent pas à cause de leur localisation mais du fait des relations qu’elles établissent avec d’autres centres » (théorie des lieux centraux par Christaller)10. « Les villes se développent selon une logique de division du travail : l’arrière pays approvisionne les cités, lesquelles en contrepartie, lui fournissent des services. […] la première fonction des villes est celle de distribution »11. « La ville naît des besoins d’interactions entre les gens […], des fonctions centrales d’échange, des confrontations ou des rencontres collectives »1. La ville est le résultat de la sédentarisation, ville et mouvement sont très liés.

2. LA VILLE ALPINE

La ville alpine possède tout même la particularité de sa proximité et de son appartenance

au territoire alpin. Elle existe grâce à la forte présence de l’environnement dans lequel elle s’insère. Elle résulte d’un « Mélange des valeurs urbaines et montagnardes »12. Evidemment, le territoire alpin justifie que la ville soit alpine mais cette condition n’est pas suffisante : « Être une ville alpine dépend de la localisation mais aussi de la perception que la ville a de sa propre identité » 12.

L’appellation de ville alpine semble étroitement liée à son identité, autant qu’à l’image qu’elle souhaite présenter. La recherche d’identité alpine se traduit par la « recherche d’authenticité, de santé ou de convivialité »14. Grenoble et Innsbruck sont des villes dites alpines seulement depuis le 19ème siècle. C’est en quelque sorte une reconnaissance, une identité qui se défend ou se gagne13. Le fait qu’une ville soit alpine semble souvent relever du domaine du symbolique, de l’image jusqu’à l’icône, parfois même être un label de qualité. L’appellation ville alpine paraît plus être un outil de marketing qu’une véritable valeur légitime. Tout comme la ville, la ville alpine doit répondre à des quotas et des seuils. En « 1975 : premier inventaire des villes dans les Alpes par le géographe italien Giuseppe Dematteis. Etait alors considérée comme ville toute commune offrant des prestations à une population d’au moins 5 000 habitants (dans les pôles urbains ou les communes voisines). Bref, un lieu central dont le rôle principal consistait à offrir un marché aux campagnes environnantes »11. Aujourd’hui, le seuil n’a pas changé la ville alpine compte « 5 000 habitants et plus »13. « La spécificité des villes alpines est due à 3 principaux facteurs : le relief, le nombre d’habitant et le type de développement. »11. Les villes alpines sont classées selon trois catégories14 :

- Porte ou carrefour des Alpes (Grenoble, Chambéry) appartenance à une grande échelle le massif alpin.

- Stations de montagne dont les attributs physiques et montagnards sont marqués : Innsbruck

ville-station et St Moritz station fonctionnelle entièrement dévolue au tourisme.

- Martigny et Locarno dans la vallée du Piémont où la montagne est un décor.

B. L’ALTITUDE

Dans « ville d’altitude », il y a non seulement ville mais aussi altitude. L’altitude reste une notion vague que l’on associe souvent à la montagne. « La montagne est une montagne par le rôle qu’elle joue dans l’imaginaire populaire »15, elle est « un lieu magique, un lieu d’émotions où l’on peut vivre sa passion et donner un sens à ses rêves »16. En effet, la définition de montagne est « un relief accusé d’une certaine extension, susceptible de présenter un milieu de vie original pour les populations, les animaux et les plantes, associé précisément au relief, aux pentes, à l’altitude »17. L’altitude est étroitement liée à la présence de relief. Elle est relative d’un point situé plus bas.

Dans notre exploration des villes menant à la ville d’altitude, la ville alpine s’en approche. En effet, tout comme la ville d’altitude, la ville alpine met en corrélation la ville et le territoire auquel elle appartient. Elle résulte du « mélange des valeurs urbaines et montagnardes »12. Bien que les villes alpines soient liées aux réalités des montagnes proches, cette appartenance ne s’y résume pas. Il ne suffit pas d’être située en territoire alpin pour qu’une ville soit dite alpine.

En effet, Les villes alpines ne sont pas seulement des agglomérations situées dans les Alpes. Il existe des nuances. « La plupart des centres alpins se situent à faible altitude, là où le relief et le climat sont moins rigoureux »13. Ce sont principalement des « contextes économiques et des modes de vie qui conduisent à associer une ville à son territoire alpin »14. dépend de la qualité du site (morphologie, durée d’enneigement, ensoleillement) et de leur position géographique (qui définit un potentiel de clientèle)»21.

Quatre générations de stations se sont succédées :

- La station ancienne autour d’un village (Megève), caractérisée par un développement anarchique dans des sites de basse altitude à tradition estivale.

- L’équipement sauvage en site vierge (Huez), où une ressource importante et rare (le domaine skiable) est aussi mise en valeur dans l’anarchie.

- La station rationnelle (intégrée) en site vierge (La Plagne), créée sur le modèle conçu et contrôlé par l’Etat.

- La station rationnelle en site vierge, mieux insérée dans le milieu local (Valmorel).

On distingue :

- Le stade de neige, grand ou petit, sans structure d’hébergement, à proximité d’une agglomération (type Chamrousse) qui prend en charge au même titre que le stade d’athlétisme de la ville.

- Le centre de ski : un stade de neige appuyé sur un village de moyenne montagne dont la vocation touristique première reste la saison d’été ; l’hiver accueille autant des sportifs que des contemplatifs qui se promènent (Les Rousses par exemple).

- La station de séjour : créée en altitude pour une garantie d’enneigement, elle utilise de façon « complète et rationnelle le site qui lui est dévolu »21.« Économiquement, elle est considérée comme une zone industrielle de grand rapport » 21.

- Le ski de village : il crée en moyenne montagne une animation permettant de retenir les jeunes au village, en skiant dans le champ du voisin ; « il peut devenir une véritable activité familiale d’hiver en complément de l’été (Pialat, 1970, pp.16-17) » 21.

L’altitude est une précision importante dans la qualification d’une ville car elle comporte des sous-entendus. Lorsqu’il y a altitude, les conditions « naturelles telles que le relief et les difficultés de transport limitent les échanges »11. « La cité alpine doit faire face à des contraintes particulières comme le relief »11.

Limitant les échanges, la situation particulière des villes d’altitude impose un mode de vie plus rigoureux, mais aussi devant savoir faire face à l’isolement, l’éloignement et la décentralisation de l’habitat que peut entraîner le relief.

A ces contraintes d’isolement s’ajoutent les contraintes de vents, de neige et de température. Selon l’altitude et le climat, la neige peut rester présente tout le long de l’année.

C. STATIONS DE SKI

« Dans sa définition première, la station fait référence à un arrêt lors d’un déplacement et comporte ainsi une notion d’éphémère. Pour sa part, le concept de ville fait référence à un espace de vie permanent »18, de là provient l’origine de la différence entre ville et station. La station se caractérise par sa différence de la ville du fait qu’on y passe simplement et que l’on y stationne temporairement. La station est « un lieu où les relations au lieu sont éphémères »19. Contrairement à la ville où la notion d’ « habiter se traduit dans la durée » 19, on séjourne en station de montagne « dans l’éphémère d’un décor » 19mais on n’y habite pas.

1. LA STATION TOURISTIQUE DE MONTAGNE

Le terme station de sports d’hiver renvoie à la station de villégiature qui est définie comme « une agglomération ou partie d’agglomération dont la raison d’être ou la fonction emblématique sont le repos, la détente, les loisirs, le sport la culture, la visite de curiosités naturelles »20 en particulier la station de sports d’hiver qui est spécialisée par la « pratique des sports de neige » 20. « Les stations sont alors perçues d’après la fonction qu’elles peuvent assumer ; celle-ci

2. STATION EN SITE VIERGE

a) Stations « ex nihilo »

La station « ex nihilo » par son nom traduit sa création en site vierge de toutes constructions sauf quelques parcimonieux chalets d’alpage. Elles sont des lieux de résidences hivernales situés dans des zones auparavant inhabitées. Elle se situe donc en plus haute altitude que les villages préexistants transformés en station de ski.

Les premières stations créées en sites vierges, sont conçues avant tout comme des centres sportifs. « Le domaine skiable naît au pied de l’urbanisation et modèle la forme de la station.

L’organisation est fonctionnelle autant pour le ski que pour les commerces et les dessertes routières. Les collectivités publiques, maîtres d’ouvrage, acquièrent les terrains et assurent la mise en œuvre du plan d’urbanisme, généralement sous forme de lotissements. Les réalisations se font au coup par coup, sous le contrôle d’un architecte urbaniste afin de favoriser une homogénéité générale, en dépassant la séparation habituelle entre urbanisme et architecture. Ainsi, émerge l’intuition de Courchevel 1850, imaginé comme un village alpin d’un genre nouveau »22.

La station de sports d’hiver intégrée est définie comme étant une « station de sports d’hiver réalisée selon un projet d’urbanisme intégrant toutes les fonctions nécessaires à un fonctionnement comme agglomération autonome ou ville nouvelle »20.

Le passage du village montagnard à la station intégrée ne se fit pas sans erreur ni douleur. Petit à petit, nous avons vu fleurir en montagne des stations faisant pousser, tels des champignons, des faux-chalets savoyards mitant le paysage alpin et racontant des histoires de lieux et de coutumes n’ayant souvent jamais existé en ce lieu-même, s’efforçant à raconter de « l’histoire sans histoire »19. Cette muséification et momification des stations de montagne tend à les modifier en ville-musée ne rappelant que la « ville d’hier »3 d’une manière souvent répétitive et usant du faux-vieux copié-collé. La ville (ou la station) n’a-t-elle pas d’autres horizons qu’elle-même ? Ou celui des formes qu’elles fut autrefois ?

Pourtant la montagne s’avère depuis toujours être un territoire privilégié d’inventions, d’innovations et d’expérimentations.

b) Stations intégrées

« Le plan Neige impose le concept de la station intégrée conçue comme prototype de développement urbain calibré par l’importance du domaine skiable. Cette stratégie repose sur la convergence d’un promoteur, maître d’oeuvre unique, une collectivité locale qui lui concède l’exclusivité de l’aménagement et les services de l’Etat qui animent et contrôlent le projet »22. L’urbanisme rationnel concentre les constructions reliées entre elles autour de la grenouillère. Maîtrise foncière totale, priorité au ski alpin, domaine skiable orienté au Nord, résidences construites sur les plateaux ensoleillés, parti d’urbanisme compact et fonctionnel sont les principes générateurs de la station de sports d’hiver intégrée.

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