09/05/2007

II. Pourquoi, Comment la Ville d'Altitude ?

  1. VILLE, NATURE ET ENVIRONNEMENT

La ville d’altitude signifie par ses termes un établissement humain particulier dans un espace particulier. Ainsi, la ville d’altitude est tout d’abord étroitement liée à son territoire et aussi au cadre dans lequel elle s’établit.

Du fait de son altitude, cette ville est en constante relation avec la nature. La ville d’altitude située en montagne semble seule au milieu du paysage naturel imposant qui l’entoure. La ville se définit par ces limites mais aussi par ce qu’elle n’est pas. « La ville est définie par opposition à la campagne »5, c’est un lieu « où l’on vivait autrement qu’à la campagne » 5.

La ville est aussi définie par le cadre qui l’environne, c’est le cas de la ville ouverte : « La ville se définit comme une entité singulière par rapport et en opposition avec le reste de l’espace, mais elle ne peut exister qu’en rapport avec cet autre espace »7. Depuis longtemps la question de la ville située à la campagne reste en suspend. Alphonse Allais déclarai déjà : « Je trouve que l’on a mal choisi l’implantation des villes, il aurait fallu les mettre à la campagne »9. La ville est l’expression des relations qu’elle entretient avec son environnement. « Toute ville procède en permanence à des échanges avec les milieux naturels qui l’entourent » 5. Les cités-jardins (comme par exemple celles de Ebenezer Howard) ne sont que le reflet de cette recherche constante de relation avec la nature et d’équilibre organique entre ville et campagne.

Dans le but de « Conjuguer demain les avantages de la vie urbaine (abondance et hyperchoix) avec la beauté et les plaisirs de la campagne »6, la ville d’altitude semble proposer un certain nombre d’avantages. « La montagne est un sanctuaire de la nature, un réservoir de biodiversité et de cultures traditionnelles, un haut lieu touristique, où la qualité de vie se fait grâce à la proximité d’un cadre naturel »12. « La nature est de plus en plus considérée comme un vecteur fort de qualité de vie »23. Ainsi, vivre à la montagne paraît être une proposition alléchante pour des personnes aspirant à de meilleures conditions de vie. « La montagne est devenue un espace de loisirs, de travail et de résidence, habité, parcouru et exploité à toutes les saisons »37. La montagne n’est plus un espace laissé à l’abandon, la vie l’habite. Le retour des populations à la campagne prend en compte le territoire montagnard d’autant plus qu’il est situé à proximité d’une grande ville de plaine (Turin, Grenoble…).

La montagne fut toujours un espace de ressourcement, de retour « à la terre même, à la communication cosmique avec la nature »6, et tend à devenir un retour chez soi. Les Alpes assument « le rôle de banlieue verte pour les loisirs des citadins »24, c’est-à-dire un rôle de parc de loisirs. La ville d’altitude semble être une solution contre le mitage des paysages « ou la consommation excessive d’espaces naturels »5 par la densification des stations. D’autant plus, que l’on constate une « Croissance urbaine inégale entre montagne et plaine. La montagne est accusée d’un certain retard »13. Elle est aussi une manière de « dépasser les oppositions manichéennes et archaïques entre ville et nature »14. Elle peut aussi être vue comme une opportunité face au trop plein des métropoles au bord de l’apoplexie et au trop vide des campagnes gagnées par le désert. « Les stations de ski du XXe siècle résultent d’un nouveau retour de la ville à la montagne»27, les stations imitent la ville et imitent la montagne. Mais la montagne ne peut plus être seulement considéré comme un décor ou un cadre de loisirs ou de vacances, elle doit être prise en compte dans tout projet, d’autant plus que l’impact d’une ville en altitude peut être important sur son environnement. « Le rôle de l’architecte est alors de rétablir un équilibre entre les formes produites et le paysage qui les accueille »39. Cette notion d’équilibre entre ville et nature est un point important à respecter dans l’établissement de ville en altitude. « Le paysage ne peut plus être considéré comme simple support de projet mais comme une réalité culturelle complexe dont il s’agit de respecter les équilibres »39.

La ville d’altitude impose des conditions de situation, mais à moins de vivre totalement en autarcie, elle requiert la nécessité d’être à distance raisonnable de centres alpins autant pour les loisirs, les commerces que pour le travail. L’installation dans la nature est envisageable par la réduction du temps de travail et la tendance à l’allongement de la distance domicile-travail6. En effet, la ville d’altitude doit pouvoir s’intégrer à un réseau, pour pouvoir supporter la mobilité de ses résidents. Elle peut ainsi attirer habitants, main d’oeuvre et touristes. Mobilité, transports et réseaux sont à prendre en compte lors de l’établissement de ville d’altitude.

B. MOBILITE, RESEAUX ET TRANSPORTS

Si la durée du temps de travail continue à baisser, la distance domicile-travail risque de s’allonger. Les progrès dans les moyens de transports tendent à réduire les temps de déplacement. Il y a quelques années, l’invention du chemin de fer a permis de pénétrer « plus loin et plus haut dans la haute montagne et d’aller plus vite »25 et donc de réduire les temps de déplacement. Etant donné que « 60% des mouvements pendulaires sont effectués en automobiles »8, dans la mesure où les villes d’altitude restent accessibles en automobiles et que les « Temps des déplacements quotidiens [ne dépassent pas] 70 minutes » 8, la ville d’altitude est envisageable car elle s’intègre à un réseau et répond aux contraintes d’échanges et de relations interurbaines. La ville est « un lieu de mouvement » 8. « La ville se dépeuple de ses habitants mais se remplit quotidiennement de ses utilisateurs »8, ainsi, « La mobilité est le support de la croissance urbaine » 8. Or, la remise en cause de la mobilité est envisageable car la création du télétravail peut sembler être une « opportunité face au trop plein des métropoles au bord de l’apoplexie et au trop vide des campagnes gagnées par le désert »6. Habiter une ville d’altitude ne paraît plus comme habiter dans un endroit isolé et coupé du monde. Les liaisons satellites et Internet permettent aujourd’hui d’accéder à beaucoup de services et aussi de travailler à domicile. Selon la théorie de Christaller, toute ville est intégrée à un réseau. Les villes d’altitude pourraient se relier entre elles et ainsi former un réseau si l’on prend en considération les liaisons créées par les remontées mécaniques des domaines skiables. Ainsi, Paradiski, par exemple, pourrait faire partie d’un réseau de villes d’altitude rattaché au réseau des villes de vallée par les routes. La ville est vue alors comme « l’expression des relations qu’elle entretient avec l’environnement »26. La ville d’altitude résulte de son intégration dans un réseau de ville et la prise en compte des mobilités actuelles, de plus, elle semble être un besoin légitime pour certains. La comparaison ville–station revient souvent, elle semble même être une solution et une réponse à la demande en terme d’ambiance ou encore d’emploi à long terme pour « fixer » les populations.

C. BESOINS

1. AMBIANCE

L’ambiance des stations revêt deux masques : Le premier en saison, où tout semble rappeler la ville : le nombre, la densité, les activités…« La stations de ski devient ainsi une ville en miniature, une copie conforme des tendances urbaines et des lieux à la mode. Et l’on monte finalement en montagne pour se retrouver chez soi. En ville…»27. « La montagne environnante est parfois devenue un cadre, un simple décor pour des activités touristiques multiformes »2826, certains touristes citadins viennent en montagne uniquement pour le décor. A cet effet d’urbanisation abusive de la montagne, s’ajoutent le vide et le manque lors de l’intersaison. Les témoignages ne manquent pas : « Si certaines stations de sports d’hiver en montagne ont tendance à être considérées comme des villes, peu s’en faut pour qu’à certaines périodes de l’année elles revêtent l’apparence de « villes fantômes ». Les façades couvertes de volets clos représentent la hantise des stations touristiques ; la hantise de perdre tout leur charme sous les apparences d’une ville morte. Pour lutter contre ce phénomène, les gestionnaires de la station souhaitent convaincre les propriétaires d’occuper davantage leurs résidences ou de les encourager à louer ces dernières par mesures incitatives »29. Il y aussi un « Manque d’indigènes dans la station. C’est devenu tellement cher, tous les gens sont descendus en fond de vallée […] il manque une âme dans Courchevel »30. « Si la commune ne balaie pas, il n’y a personne pour balayer. Si la commune ne fleurit pas, il n’y a personne pour fleurir. Il y a un manque de vie permanente qui fasse que l’accueille soit spontané, que la station soit vivante, comme on peut le retrouver dans les stations suisses, autrichiennes ou même françaises, où la population permanente locale est beaucoup plus insérée au sein des divers types d’hébergements touristiques » . et de plus en plus urbaines. Les citadins viennent chercher l’authenticité du cadre montagnard mais exigent le luxe auquel ils aspirent en plaine. Les ribambelles de bars, restaurants et salles de remise en forme n’en sont que la preuve. Créant ainsi « l’effet paysage de montagne »

Dans l’idéal, la ville d’altitude serait capable de concilier ce trop d’urbanisation et ce trop peu d’indigènes.

2. LOGEMENTS

Mais les besoins ne relèvent pas seulement de l’ambiance ou de l’utilisation du cadre mais aussi d’effort de la part des communes. Pour « créer une nouvelle population permanente à Courchevel […] il faut […] la possibilité de s’installer, c’est-à-dire que les impôts locaux ne soient pas aberrants ou absurdes pour des petits revenus, et qu’il y ait des terrains disponibles pour que les jeunes puissent s’établir »32; sans compter une remise aux normes et une adéquation aux besoins des résidents permanents. Les logements sont souvent désuets et trop petits pour y vivre à l’année. Des travaux d’agrandissement doivent être pris en compte lors d’aménagement de station de sports d’hiver en ville d’altitude.

3. EMPLOIS

En plus de la possibilité foncière et immobilière, s’ajoutent les trop rares opportunités d’emplois durables. Pour « créer une nouvelle population permanente à Courchevel […] il faut […] du travail à l’année, c’est-à-dire que si Courchevel reste une station purement d’hiver, qu’il n’y a pas de travail, c’est un leurre de dire qu’on va faire rester des jeunes ménages ici toute l’année. S’ils n’ont rien à faire, ils ne restent pas là, ils restent saisonniers l’hiver et s’en vont »32. Le tourisme ne s’avère pas une solution durable car il ne propose qu’en majeure partie des emplois saisonniers. « Les touristes qui séjournent ici, veulent se reposer. Ils veulent profiter du calme de la montagne sans forcément skier. Cette forme de tourisme rapporte moins mais elle assure des revenus et des emplois à long terme »33. « Fixer davantage les résidents à l’année dans nos communes, compléter la saison d’été, anticiper les besoins de la clientèle »34 sont des objectifs menant à la ville d’altitude et sa durabilité. Le marché de l’emploi en montagne, dans le cas de station à vocation uniquement touristique, s’avère précaire ; mais, dans le cas de la ville d’altitude, le télétravail, ainsi que la mise en place de professions (non uniquement touristiques) comme des métiers d’observation de la montagne (faune, flore, géologie, glaciologie…), de recherche ou encore de réhabilitation et remise en valeur de la station pourrait être des solutions durables face à la précarité de l’emploi dans les stations de sports d’hiver. Tous ces éléments semblent attendre une ville d’altitude qui n’existe pas encore et qui demanderait beaucoup d’efforts. Mais n’y a-t-il pas déjà une façon de vivre que l’on pourrait qualifier d’urbaine en station, ne serait-ce que sur une durée limitée ? La ville d’altitude est-elle si loin du mode de vie actuel en station ? Par l’observation des quelques résidents à l’année des stations de sports d’hiver, il peut sembler qu’il existe quelques avantages à tirer de la vie en altitude et que l’on peut remarquer déjà souvent et de façon temporaire une préexistence de fragments de ville d’altitude en station de sports d’hiver.

D. PREEXISTANCE DE FRAGMENTS DE VILLE D’ALTITUDE EN STATION DE SPORTS D’HIVER

  1. SOCIAL ET TEMOIGNAGES

Au travers de témoignages de gens qui vivent à l’année en station de sports d’hiver, nous retrouvons les dimensions que nous connaissons en ville. La station apporte une notion du vivre-ensemble, elle est alors considérée comme « un organisme vivant, humain, qui crée la richesse, mais qui doit devenir également une communauté pour les femmes, les hommes et les enfants qui y vivent et y travaillent »35. La notion de mobilité est abordée dans le sens où les habitants préfèrent travailler et habiter sur place plutôt que de s’imposer des navettes quotidiennes 36 entre domicile et travail, c’est-à-dire habiter dans la vallée et travailler en station, ou, à l’inverse, travailler dans la vallée et habiter en station.

Habiter en station présente aussi l’avantage de la vue et du grand air. « Le bon côté de la vie en station réside aussi dans la possibilité, pour les enfants, de pratiquer tous les sports de plein air »36. Une habitante de La Plagne déclare : « Entre une rue sinistre en ville et la vue depuis mon appartement sur dix « 4000 », y’a pas photo ! »36. Habiter en station, parfois peut faire penser à la ville, d’après un résident permanent à La Plagne : « ça fait vraiment ville, les enfants partagent la même chambre et vont jouer sur le parking »36.

2. SYMBOLIQUE

La station de sports d’hiver fonctionne souvent comme une ville mais si ce n’est que de façon temporaire. En effet, le caractère éphémère fait partie de la station mais si l’on parle de ville d’altitude on parle alors de durée et de permanent. Or, si l’on observe la station lors de son fonctionnement en plaine saison, on ne peut nier l’évidence : la station brasse des gens, des services, des flux comparables à ceux d’une ville. « Des communes touristiques peuvent être considérées comme des villes temporaires par leur nombre de lits ainsi que leurs infrastructures routières, d’approvisionnement et de services »11. Le gigantisme que prend la place du tourisme est tel que, dans certaines stations, on n’est plus dans le petit village montagnard mais dans une véritable ville d’altitude. « Des centres de shopping très importants en montagne [sont créés] aussi, car il faut satisfaire le consommateur dans tous les domaines »37. « Le tourisme de montagne devient très vite et de large proportion un tourisme urbain »28 drainant les gens des villes à la montagne. « Lors de sa fréquentation maximale, la station de Crans-Montana abrite jusqu’à 45 000 personnes, à ce moment il s’agit de la plus grande agglomération du Valais puisque Sion, capitale et plus grande ville du canton, compte 25 000 habitants »18. Pourtant, une localité de 1 500 habitants peut voir sa population passer à 25 000 personnes assurant les services nécessaires sans que la localité soit considérée comme une ville.12 « Certaines stations de sports d’hiver se transforment ainsi en villes alpines regroupant une communauté humaine installée à demeure, comme à l’Alpe d’Huez, à 1800m d’altitude, où plusieurs centaines de personnes vivent à l’année »38. « La station est une agglomération urbaine… elle s’apparente à une cité industrielle, à une ville fonctionnelle, construite dans un but défini et dont le développement est intimement lié à l’industrie qui la fait vivre ; pour les stations de sports d’hiver, l’industrie vitale est les sports de neige » (avant-projet de l’équipement de la vallée de l’Arve, 1942)39. Très vite les grandes stations de ski sont comparées à des « usines » à skieurs, où la course au gigantisme devient l’objectif ultime. Il faut alors rentabiliser les frais d’installation par la venue massive de skieurs et pour cela il faut pouvoir les loger. La réhabilitation de fermes montagnardes fait alors place à la standardisation des logements afin de réussir à loger rapidement le grand nombre, attitude que l’on connaît déjà dans les grandes villes de la métropole.

3. ARCHITECTURE ET URBANISME

On assiste progressivement à la modification progressive du village en station puis en ville par l’architecture. « Les architectes de stations de sport d’hiver s’attachent à reproduire en pleine nature, les cités de périphérie qui se multiplient aux alentours des villes »40. L’architecture des grands ensembles de l’époque est beaucoup critiquée aujourd’hui, les citadins venus chercher une certaine forme de dépaysement quittent la ville pour rejoindre la ville. Ils se demandent alors : Où se situe le dépaysement ? Où se situe l’imaginaire ? Où se situe l’authenticité ? qu’ils sont venus chercher et ne les retrouvent pas vraiment dans l’actuel néo-régionalisme faisant du pastiche et du vrai faux-vieux. « Au regard de son urbanisme et de son architecture, Crans-Montana s’apparente davantage à une ville qu’à une station »18 et ce n’est pas la seule station qui présente les traits d’une architecture urbaine. Facilement les reproches et les critiques tombent : « Les grands ensembles, au même titre que les stations intégrées (type Flaine) sont incapables d’établir la moindre relation avec le territoire qui les entoure »39. Certains reconnaissent les erreurs : « En fait, on a pas cherché à savoir ce que désirait la clientèle, on lui a offert une ambiance urbaine alors qu’elle recherchait le dépaysement »41, d’autres l’avaient prédit : « Nous sommes en train de construire de véritables taudis touristiques dont personne ne voudra plus en l’an 2000 »42. L’architecture des stations de montagne, autant que celle des villes d’altitude est en attente d’autres choses, de nouvelles choses : ni villes, ni faux-villages. Dans un cadre différent, l’architecture et l’urbanisme se doivent d’être différentes pour répondre davantage aux attentes du public. « Tardivement faite l’analyse de la vie des touristes en station montre que le ski n’est pas leur unique préoccupation, même dans les grandes stations (« usines à ski ») près d’un tiers de touristes ne fait pas de ski alpin. L’idée d’environnement est devenue forte, on parle de renaturaliser la montagne. L’urbanisation, même si des lits continuent de se construire, n’est plus pensée en terme d’expansion mais en terme de requalification : comment transformer les « villes nouvelles » en villes avec des qualités d’espaces différentes ? »43. La démarche est en cours mais peu de stations prennent l’exemple du Vorarlberg où l’innovation a pris la place de la facilité de la standardisation et de la copie produisant plus de « l’authentoc » que de l’architecture locale. Certaines stations comme Avoriaz ont su passer à côté de ces erreurs : « Depuis les années 50 et la ruée vers l’or blanc, l’immeuble collectif étant devenu une nécessité économique, les stations de sports d’hiver l’ont assimilé selon 2 modes d’emploi. Le premier utilise la référence du chalet qui semble être brutalement saisi par un étrange gigantisme. Le second se calque tout simplement sur celui des grandes cités urbaines arborant tours et barres parfaitement ordonnancées quel que soit le site qui les accueille. Ni l’un ni l’autre ne franchissent les portes d’Avoriaz »45.

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